"The Verdict", Sidney Lumet (1982)
Par Océane LOBJEOIS
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"Les faibles ont besoin de quelqu'un pour les défendre. N'est-ce pas la vérité ? C'est pour cela que le tribunal existe. Pas pour rendre la justice. Il est là pour leur donner une chance de justice". (Francis P. Galvin, Le Verdict, 1982)
Le genre cinématographique du prétoire de Sidney Lumet
Sidney Lumet s'est élevé en tant que cinéaste éminent dans la représentation de la justice, forgeant une réflexion profonde sur le système judiciaire et étant intimement lié au genre cinématographique du prétoire. Son œuvre emblématique, "Douze Hommes en colère" (1957), marque le commencement d'une carrière où Lumet, déjà chevronné dans l'art de la réalisation, appréhende avec acuité la puissance dramatique des salles d'audience. À travers ce chef-d'œuvre cinématographique, il nous livre une analyse approfondie de la justice (américaine) cette fois-ci à travers le prisme d'un avocat déchu, offrant ainsi une perspective nouvelle et captivante sur le sujet.
![Sydney Lumet @magmalemag](https://26694ce817.cbaul-cdnwnd.com/774618f3863daef5a9bf1fc51441adaf/200000218-3f6b83f6ba/r-trospective-sidney-lumet-1497.jpeg?ph=26694ce817)
Ce scénario comprend de célèbres acteurs : Paul Newman, Charlotte Rampling, James Mason, Jack Warden. Le jeu d'acteur de Newman dans le rôle de Galvin a notamment été salué par sa nomination aux Oscars, tout comme celui de Jack Warden (Morrissey), déjà remarquable dans "Douze hommes en colère".
![Paul Newman dans le Verdict @lebleudumiroir](https://26694ce817.cbaul-cdnwnd.com/774618f3863daef5a9bf1fc51441adaf/200000222-ad35cad360/still_le-verdict.jpeg?ph=26694ce817)
Le synopsis du film
Le film suit l'histoire de Francis P. Galvin, un avocat déchu, qui passe ses journées à traîner dans les bars, jouant au flipper et buvant de la bière. Il tente d'attirer de nouveaux clients en distribuant des cartes professionnelles lors de funérailles, aux familles vulnérables et endeuillées. Cette technique est une pratique professionnelle contestable aux Etats-Unis, ceux qui l'utilise sont appelés « les chasseurs d'ambulances », l'un des seuls moyens pour lui de se constituer une clientèle.
Son ancien associé, Michael Morissey, est sur le point de le lâcher en raison de son alcoolisme. Sa vie professionnelle (et personnelle) n'est qu'un saut en parachute, sans parachute, il ressent l'adrénaline du saut mais sa chute lui est fatale. Sa chute qui se traduit par une dépendance à l'alcool, survenue à la suite de son renvoi d'un prestigieux cabinet d'avocats de Boston, Stearns and Harrington, du fait d'un scandale de subornation de jurés dont il ne parvient pas à se remettre. Pour Galvin, c'est le début d'une spirale infernale : il est renvoyé du cabinet, traverse un divorce et enchaîne les défaites judiciaires.
Une amitié sincère s'est nouée entre les deux protagonistes, Warden offrant un soutien moral à Galvin et l'encourageant à persévérer. Il lui proposera finalement de travailler sur l'affaire d'une femme victime d'une erreur médicale lors de son accouchement, à l'hôpital Saint-Catherine de Boston, la plongeant dans un coma artificiel. Sa soeur et son beau-frère demandaient l'octroi d'une indemnisation, sans vouloir rechercher la culpabilité des médecins en cause. Alors qu'une transaction s'apprêtait à être conclue entre l'avocat et l'archevêché de Boston (responsable de l'hôpital Sainte-Catherine), après s'est rendu au chevet de la visite, d'un regain d'humanité et par la volonté de retrouver sa dignité, Galvin refusa la négociation, ce qui entraîna l'ouverture d'un procès à l'encontre des accusés.
Le docteur Towler, principal accusé, est défendu par l'avocat cynique, Ed Concannon (James Mason), accompagné d'une pléiade de collaborateurs. Son équipe utilise tous les moyens nécessaires pour arriver à leurs fins, celles de mettre hors de cause leur client. Concannon n'hésite pas à faire appel à Laura Fischer afin qu'elle le séduise et récolte des éléments compromettants sur le dossier de son adversaire, Galvin.
Milo O'Shea incarne le personnage de président (juge Hoyle), et se démarque comme l'un des plus redoutables adversaires de Galvin. Cette caractérisation atteint son paroxysme dans une scène poignante où Galvin, désespéré par l'absence de son témoin, se rend chez le magistrat pour solliciter un délai. (scène surprenante en ce qu'elle est irréaliste) Malgré ses supplications, le juge rejette fermement sa demande avec un mépris et un sarcasme manifestes.
L'analyse du film
La partialité du juge
Profondément critique envers le système judiciaire américain, le film offre diverses perspectives d'analyse sur le rôle (intrigant) du juge.
Le juge Hoyle, arborant une attitude amère et méprisante, affiche ouvertement son hostilité après que Galvin ait refusé de transiger avec lui. Ce refus de Galvin intervient suite à sa visite auprès de la victime, démontrant ainsi une conscience morale certaine et renforçant sa détermination à obtenir justice. Le comportement déplacé du juge lors du procès met en évidence les failles de l'impartialité, et in fine de la neutralité des magistrats. Également, l'absence d'une collégialité peut troubler, en ce que l'unicité de la formation, pour une affaire aussi délicate que celle-ci, ne constitue pas une garantie suffisante pour le prononcé d'une bonne justice, qui doit être juste et équitable.
À l'audience, l'interrogation de l'un des témoins est menée directement par le juge, alors qu'il en a l'interdiction. En effet, le système américain repose sur le principe accusatoire, selon lequel le président a un rôle passif, à la différence des parties, qui sont des figures centrales.
La représentation cinématographique de la justice est importante en ce qu'elle dénonce les mauvais côtés de la justice. Celle d'une justice marquée par des inégalités flagrantes, qui se traduisent par la disparité des ressources entre les parties. Ainsi sont mis en lumière des défis auxquels sont confrontés les justiciables les plus défavorisés, ayant pour conséquence un manque d'équité du système judiciaire américain regrettable.
Un jury particulièrement discret
Contrairement au film "Douze hommes en colère", le jury n'est pas au coeur de ce film, demeurant en arrière-plan, ils sont peu estimés, désintéressés, et la sélection est très brève. Cependant, Galvin, ayant un profond respect pour cette institution, en profite pour s'adresser directement aux jurés lors de ses plaidoyers, témoignant de leur rôle crucial dans sa quête de justice.
« Un jury, cela veut croire. En son âme et conscience. Il faut compter avec. Demain, je dois choisir douze jurés. Eux, toute leur vie, se sont dit : la justice, c'est bidon. Ils l'emportent toujours. Mais une fois dans le box des jurés, on peut presque lire dans leurs yeux : peut-être. Peut-être. Peut-être, que je peux faire quelque chose de juste ». (Francis P. Galvin, Le Verdict, 1982)
Alors que la dure réalité de la misère humaine peut devenir le lot quotidien de juges et de magistrats, les jurés demeurent ainsi une institution traditionnelle essentielle, insufflant une humanité pleine et entière dans le processus judiciaire ayant une valeur démesurée dans la recherche de justice pour tous.
Par un verdict heureux rendu par les jurés que Galvin retrouve un nouveau souffle dans sa carrière et sa foi en la justice.
Source : « La justice au cinéma », T. De Ravel d'Esclapon, Lefebvre Dalloz.