Projet de révision constitutionnelle visant à supprimer le droit du sol à Mayotte.
Par Anaïs LEBON
Projet de révision constitutionnelle visant à supprimer le droit du sol à Mayotte
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La révision de la Constitution :
La révision de la Constitution répond à une nécessité de concilier la protection de la Constitution contre les retouches abusives avec le souci de ne pas empêcher les modifications indispensables. La Constitution comporte un titre XVI intitulé « De la révision » formé d'un article unique, l'article 89. Celui-ci prévoit deux procédures différentes, selon l'autorité qui a pris l'initiative de la révision.
Révision à l'initiative des parlementaires :
L'Assemblée nationale et le Sénat sont placés sur un pied d'égalité. En effet, chaque député ou chaque sénateur peut prendre l'initiative d'une révision. Si l'assemblée à laquelle il appartient approuve cette proposition, la procédure de révision est engagée. La proposition de révision approuvée par la Chambre sera transmise pour discussion à l'autre Chambre. Son adoption suppose que les deux Chambres se mettent d'accord sur un texte identique, à la majorité simple des suffrages exprimés. Le texte adopté doit ensuite être soumis au peuple par référendum.
Révision à l'initiative du Président de la République :
Le Président de la République peut lui aussi engager, sur proposition du Premier ministre, une procédure de révision. Lorsqu'il entreprend cette révision constitutionnelle il peut soit utiliser la procédure décrite pour l'initiative parlementaire, soit recourir à une procédure différente : après le vote par chacune des assemblées d'un texte identique, le projet est soumis pour approbation aux deux Chambres réunies en Congrès. Le projet est approuvé s'il obtient au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés. Si cette voie est suivie, il n'y a pas lieu de recourir au référendum.
L'histoire de Mayotte :
Historiquement, Mayotte appartient à un archipel comprenant trois autres îles : Anjouan, à moins de 70 kilomètres de distance, Mohéli, à 130 kilomètres, et Grande Comore, à 190 kilomètres. La fragmentation progressive de cet espace situé à l'est de l'Afrique explique en grande partie les difficultés actuelles.
Décembre 1974 : Mayotte se sépare du reste des Comores.
D'abord colonie française, les îles formant l'archipel des Comores constituent un seul et même territoire d'outre-mer rattaché à la France de 1946 à 1975. Leurs liens sont profonds : des familles sont éparpillées sur les quatre îles, les mariages entre les habitants de différentes îles sont courants et les échanges culturels et commerciaux sont fréquents.
En 1974, l'archipel entre dans une période de transition lorsque ses habitants expriment le désir d'obtenir l'indépendance. Une consultation d'autodétermination est organisée, et Anjouan, Mohéli et Grande Comore votent en faveur de l'indépendance, tandis que Mayotte choisit de rester rattachée à la France. La France, désireuse de maintenir son influence stratégique dans l'océan Indien, décide de considérer ces résultats séparément, malgré les appels de l'ONU à respecter l'unité et l'intégrité territoriale de l'archipel.
En conséquence, Mayotte obtient un statut temporaire de « collectivité territoriale » en 1976, tandis que l'État comorien naissant, regroupant les trois autres îles, conteste la souveraineté française de Mayotte avec le soutien répété de l'Assemblée générale des Nations unies et de l'Union africaine. Les élites mahoraises, craignant un éventuel rattachement à l'ensemble comorien, réclament de plus en plus fermement un statut de département d'outre-mer pour Mayotte.
Janvier 1995 : fin de la libre circulation entre Mayotte et les Comores.
Après le référendum sur l'indépendance, les relations et flux de populations entre les îles deviennent plus complexes. Mayotte devient de plus en plus attractive, tandis que l'instabilité politique frappe les autres îles des Comores. Entre 1975 et 1997, la population de Mayotte, selon les données de l'Insee, augmente de 45 000 à 131 000 habitants.
Dans ce contexte, en 1995, le gouvernement français introduit une procédure de visa, jusqu'alors inexistante, pour les Comoriens souhaitant se rendre à Mayotte. L'obtention de ce « visa Balladur » étant difficile, les traversées, autrefois courantes, commencent à se faire clandestinement.
« Le durcissement des politiques migratoires engendre des conditions de traversée de plus en plus difficiles et provoque un nombre important de décès en mer qui restent très mal documentés », explique la sociologue Nina Sahraoui, qui a mené une enquête de terrain sur les femmes enceintes à Mayotte. « En outre, ces politiques produisent de l'immobilisation : des personnes qui feraient très probablement des allers-retours, notamment pour visiter des familles dispersées, se trouvent piégées du fait de leur irrégularité ».
Mars 2011 : Mayotte devient un département d'outre-mer.
Après le vote des Mahorais en 2009, la longue revendication de la départementalisation trouve enfin satisfaction. Le 31 mars 2011, Mayotte devient le 101e département français, et le 5e département français d'outre-mer. Cependant, ce nouveau statut plonge Mayotte dans une période de fortes tensions sociales : les attentes en termes de développement économique et d'amélioration des droits sociaux sont élevées, mais la population est déçue. De nombreux indicateurs demeurent alarmants dans ce nouveau département, allant du taux de chômage des jeunes le plus élevé à celui de l'illettrisme le plus prononcé en France.
Les conséquences sont multiples. Sur l'île, les flux migratoires en provenance des îles avoisinantes persistent, et le ressentiment des Mahorais envers leurs voisins Comoriens s'accentue. Parallèlement, les départs de Mayotte augmentent. Selon les recherches menées par Antoine Math, économiste à l'Institut de recherches économiques et sociales, l'île devient un lieu d'émigration, principalement pour les jeunes qui quittent l'île, en direction notamment de La Réunion et, dans une moindre mesure, de la métropole.
Septembre 2018 : le droit du sol est modifié à Mayotte.
Au fil des années, la réponse politique se traduit par un renforcement des conditions d'obtention de la nationalité française à Mayotte. Bien que des mesures se mettent en place progressivement, l'année 2018 marque un tournant majeur : le Code de la nationalité française est révisé dans le cadre de la « loi pour une immigration maîtrisée », restreignant spécifiquement le droit du sol pour les enfants nés à Mayotte de parents étrangers. Désormais, pour que ces enfants puissent bénéficier du droit du sol et accéder à la nationalité française dans les mêmes conditions qu'ailleurs sur le territoire français, leurs parents doivent prouver un séjour régulier de trois mois avant la naissance de l'enfant.
En août 2022, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a détaillé un nouveau projet visant à renforcer davantage le droit du sol, en conditionnant l'obtention de la nationalité française pour un enfant à un séjour régulier d'au moins un an à Mayotte, au lieu de trois mois, pour au moins l'un des deux parents.
![© AFP / Chafion MADI](https://26694ce817.cbaul-cdnwnd.com/774618f3863daef5a9bf1fc51441adaf/200000190-8c80e8c812/fecf2fce8f00c6978cf450063496fa48ad3802c7.jpg.png?ph=26694ce817)
Le projet de révision constitutionnelle visant à supprimer le droit du sol à Mayotte :
En février 2023, Gérald Darmanin a fait part d'un projet visant à modifier la Constitution afin de supprimer le droit du sol à Mayotte. Selon le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, ce droit constitue un facteur attractif pour les migrants venant des îles voisines des Comores.
Par ailleurs, l'exécutif français a décidé de remplacer le préfet de ce département d'outre-mer en nommant François-Xavier Bieuville lors du conseil des ministres, en remplacement de Thierry Suquet, en poste depuis juillet 2021. Ce changement intervient peu de temps après une visite éclair de Gérald Darmanin sur l'île en pleine crise. Depuis trois semaines, des collectifs de citoyens ont érigé des barrages routiers pour protester contre l'immigration irrégulière et l'insécurité.
Réaction de Laurent Fabius (Président du Conseil constitutionnel) :
Le président du Conseil constitutionnel a soulevé la question de l'indivisibilité de la République suite à la proposition de suppression du droit du sol à Mayotte. Il a noté que bien que la situation à Mayotte soit spécifique et nécessite éventuellement un texte spécifique, la République demeure une et indivisible.
Toutefois, Laurent Fabius a souligné que le Conseil constitutionnel n'est pas consulté lors d'une révision de la Constitution. Selon la jurisprudence établie, le Conseil considère que le pouvoir constituant est souverain et, par conséquent, il ne doit pas contrôler la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle. L'article 89 introduit seulement deux limites : « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » et « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ».
Réaction du gouvernement comorien :
Le gouvernement comorien a réagi suite à l'annonce du projet de Gérald Darmanin.
« On est en droit de se demander si la volonté affichée de supprimer le droit du sol à Mayotte ne serait pas, enfin, le début d'une remise en cause de la soi-disant appartenance de l'île de Mayotte à la France », a réagi le ministère des affaires étrangères, dans un communiqué. La mesure prévue par le gouvernement français, circonscrite au territoire de Mayotte, « remet en cause l'histoire de la France et des principes qui fondent la République », continuent les Comores, qui revendiquent l'île restée sous souveraineté française.
Sources :
- Droit constitutionnel et institutions politiques, Philippe Ardant et Bertrand Mathieu
- Le Monde