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Les cours criminelles départementales vont-elles évincer les cours d’assises ?
© Tim Douet
La Plume de Thémis a l'honneur de vous présenter une tribune rédigée par M. Maréchal sur le thème des cours criminelles départementales et des cours d'assises.
Jean-Yves Maréchal est professeur de droit pénal à l'Université de Lille. Également coresponsable du master droit pénal et sciences criminelles de ladite Université, codirecteur de l'Institut de Criminologie de Lille et membre de l'ERADP (Équipe de recherches appliquées au droit privé). Il est reconnu pour ses ouvrages de « Cours de procédure pénale » et de « Cours de droit pénal » de la collection CRFPA, éditions 2018 à 2024 de Enrick B, ainsi que pour de nombreuses études en la matière.
Retrouvez M. Maréchal ce jeudi 7 mars à la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un colloque intitulé « Le code pénal 1994-2024 D'un code à l'autre : La cohérence de la législation en matière pénale », intervenant en seconde partie sur les contours du « nouveau » code de procédure pénale. (inscription gratuite)
Par Jean-Yves Maréchal
Les cours criminelles départementales, en fonction sur l'ensemble du territoire national depuis le 1er janvier 2023, sortent renforcées de l'examen de constitutionnalité opérée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 24 novembre 2023 (n° 2023-1069/1070 QPC, JO 25 nov. 2023, texte n° 100). Ces cours, instituées par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, sont compétentes pour juger les auteurs, majeurs et non récidivistes, de crimes punis de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle (CPP, art. 380-16) et se singularisent par l'absence d'un jury puisqu'elles sont composées uniquement de cinq magistrats (CPP, art. 380-17), ce qui a pour conséquence que la procédure applicable devant elles est celle édictée pour la cour d'assises sauf en ce qui concerne les dispositions qui font référence au jury (CPP, art. 380-19). La cour d'assises, comprenant trois magistrats et six jurés en première instance, demeure donc compétente dans les autres cas, c'est-à-dire pour le jugement des auteurs des crimes les plus graves, encourant trente ans de réclusion criminelle ou la réclusion à perpétuité et pour le jugement des criminels récidivistes, qui, par définition, encourent également des peines alourdies (V. C. pén., art. 132-8).
Les cours criminelles départementales ont été créées, officiellement, dans le but de raccourcir la durée des débats et de lutter contre la correctionnalisation judiciaire, qui consiste à qualifier de délit des faits qui constituent un crime, afin d'éviter la lenteur de la procédure criminelle et les aléas d'un jugement en assises. Ainsi, il n'est pas rare qu'un viol, constitutif d'un crime, soit qualifié de délit d'agression sexuelle afin d'en permettre le jugement rapide par un tribunal correctionnel. Cette justification n'est pas très convaincante en ce que si le fait est criminel, il devra faire l'objet d'une instruction, d'une durée plus ou moins longue. En réalité, un autre objectif, moins avouable, consiste à chercher à faire des économies et à alléger la procédure des assises, en se passant des jurés, non professionnels du droit et qu'il faut indemniser pour leur présence dans les juridictions criminelles.
Quoi qu'il en soit, cette généralisation du jugement de certains criminels sans jury populaire a été contestée, par des avocats et des représentants de la profession, devant le Conseil constitutionnel à qui il a été demandé, principalement, de reconnaître l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel les criminels ne pourraient être jugés que par des juridictions comportant des citoyens représentant la société. La juridiction constitutionnelle a refusé d'admettre l'existence d'un tel principe, en raison, principalement, du fait que plusieurs lois, sous la IIIème République, avaient écarté la présence du jury dans la cour d'assises.
D'autres arguments étaient invoqués, tenant au fait que les règles de majorité applicables devant la cour d'assises et la cour criminelle départementale diffèrent en raison de l'absence des jurés dans la seconde. Plus précisément, les décisions relatives à la culpabilité et à la peine maximale requièrent, en cour d'assises, une majorité qualifiée de sept voix sur neuf (en première instance) alors qu'une majorité simple (trois voix sur cinq) suffit dans tous les cas devant la cour criminelle départementale (CPP, art. 359, 362 et 380-19, 4°). L'argument invoqué tenait donc à une inégalité de traitement injustifiée se manifestant par le fait qu'il est plus facile de condamner l'auteur d'un crime puni de quinze ou vingt de réclusion criminelle que l'auteur d'un crime puni de peines plus élevées.
Il n'a pas séduit davantage le Conseil constitutionnel qui affirme que les personnes jugées devant une cour criminelle départementale sont, eu égard à la nature des faits qui leur sont reprochés et aux circonstances exigées pour leur renvoi devant cette juridiction, dans une situation différente de celle des personnes jugées devant une cour d'assises. Il retient également que les autres règles procédurales sont identiques et que la cour criminelle départementale présente, par sa composition, les mêmes garanties d'indépendance et d'impartialité. Il n'y a donc pas d'atteinte injustifiée au principe d'égalité entre les justiciables.
Si le dispositif législatif a donc été validé par le Conseil constitutionnel, la question qui demeure est celle de savoir s'il va rester tel quel ou s'il va évoluer à l'avenir. Plus généralement, on peut d'ailleurs se demander s'il a été conçu d'une manière parfaitement cohérente. Il convient de rappeler, à ce titre, que, depuis 1986, existent des cours d'assises spéciales qui ne comportent pas de jurés, ni au premier degré ni en appel, pour juger notamment les auteurs de crimes terroristes (CPP, art. 706-25) et de crimes en matière de trafic de stupéfiants (CPP, art. 706-27). Or, le mécanisme des cours criminelles départementales est différent puisque, en cas d'appel, c'est une cour d'assises du second degré, comprenant donc des jurés, qui est compétente (CPP, art. 380-21).
Une réflexion plus approfondie pourrait donc conduire, si l'on veut maintenir la place des jurés dans le jugement des criminels, à adopter un dispositif différent qui consisterait à rendre compétente la cour criminelle départementale, dépourvue de jurés, pour tous les crimes, quelle que soit la gravité des peines encourues et l'état de récidive, et de conserver la cour d'assises, comprenant un jury populaire, pour statuer uniquement en appel, ce qui redonnerait une légitimité au jury dont le rôle serait prépondérant en cas de recours alors qu'à l'heure actuelle, pour les crimes les plus graves, il intervient à deux reprises, en première et seconde instance, sans qu'on puisse justifier clairement pourquoi un jury composé de neuf personnes serait plus légitime qu'un jury en comprenant six.
Il n'est donc pas certain que le dispositif actuel se maintienne, une autre solution, radicale, consistant à évincer totalement la cour d'assises comprenant un jury et à conserver exclusivement les cours criminelles départementales sans jurés.
On notera, pour terminer, que la réécriture du Code de procédure pénale par voie d'ordonnance, voulue par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, ne permettra pas de répondre à ces interrogations, puisqu'elle est prévue à droit constant.