Le procès de Mazan : huis-clos, publicité des débats, anonymat et droit à l’oubli

02/10/2024

©EPA


Par Ketty Tanasi


Le procès dit « des viols de Mazan » au-delà de nous plonger dans l'horreur nous amène à une réflexion sur la levée du huis clos voulu par Gisèle Pélicot la victime.


L'AFFAIRE

Pour rappel des faits, depuis le 02 septembre 2024 se tient le procès de son ex-mari, Dominique Pélicot ainsi que ses 50 co-accusés pour des faits de viols, agressions sexuels et tentatives de viol sur la personne de Gisèle Pélicot, son épouse à l'époque des faits. Sur une période de près de 10 ans, Dominique Pélicot a drogué sa femme en lui administrant principalement du Temesta afin de la violer et la faire violer par des dizaines d'hommes recrutés sur le site de libertinage coco.fr, fermé depuis juin.

C'est le 02 novembre 2020 que le monde de Gisèle Pélicot s'effondre. Ce jour-là, elle est convoquée au commissariat, officiellement pour être entendue dans le cadre d'une enquête concernant l'arrestation du 12 septembre de son mari pris en flagrant délit dans un supermarché Leclerc en train de prendre des photos sous les jupes de 3 femmes. Gisèle Pélicot est alors loin de s'attendre à découvrir des photos et vidéos d'elle en train de se faire violer par son mari et d'autres hommes alors qu'elle est endormie. C'est le choc, une déflagration pour elle qui déclarera plus tard « j'avais envie de disparaitre, de prendre mon chien, ma voiture et de disparaitre ».

En effet, ce sont pas moins de 20.000 images et vidéos de la fille de Dominique Pélicot, de ses belles-filles dénudées, de sa femme et des viols qu'elle a subie qui sont exhumés d'un disque dur externe de celui-ci. L'enquête permettra de recenser 200 viols commis par Dominique Pélicot sur son ex-femme et 91 autres commis par au moins 82 inconnus pour la grande majorité dont 50 pourront être identifiés.

C'est donc dans ce contexte que s'ouvre le procès le 02 septembre 2024 avec une question centrale : le procès doit-il se tenir à huis-clos ou bénéficier de la publicité des débats.


LA QUESTION DU HUIS-CLOS ET DE SA LÉGITIMITÉ

Dès le premier jour d'audience Gisèle Pélicot refuse le huis-clos pour dit-elle « que la honte change de camp ». Pourtant, sous l'impulsion des accusés et à la surprise générale, le président de la cour criminelle régionale d'Avignon, Roger Arata, a décidé d'instaurer un huis-clos partiel lors de la diffusion des photos et vidéos des viols subis par Gisèle Pélicot déclenchant la colère de cette dernière, des journalistes et du public.

La question se pose alors de savoir ce que dit la loi. En principe les débats des audiences sont publics sur le fondement article 306, al.1 du Code de Procédure Pénale (CPP) sauf si la victime réclame le huis-clos.

Le Huis-clos est une mesure qui permet aux victimes de « viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles, de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé » (article 306 al.2 CPP) de voir leur anonymat protégé et ainsi éviter les répercussions du procès.

Ainsi pour les victimes, le huis-clos est de droit et elles seules ont le pouvoir de s'y opposer. Si elles s'y opposent alors le président de la cour est dans l'obligation de l'ordonner. La seule exception étant le cas des procès incluant des mineurs qui se déroulent systématiquement à huis clos. Par ailleurs, le président peut interdire l'accès à une salle d'audience aux mineurs au regard de la gravité des faits reprochés aux accusés.

En l'espèce, le président de la cour criminelle d'Avignon a ordonné un huis-clos partiel afin que les débats se poursuivent tout en observant les règles de moralité. Par conséquent, il a sciemment violé les droits de la victime qui est en désaccord avec cette décision. Cette position est également vivement critiquée par les journalistes qui regrettent cette interdiction arguant que cela nuit à la compréhension de la réalité des faits reprochés aux accusés et par les associations des victimes de violences sexuelles et sexistes qui avancent que si la société ne prend pas conscience de ce qu'est un viol et des conditions dans lesquels il peut être commis alors il n'y aura pas d'avancée majeure en la matière. Finalement, seuls les accusés et leurs soutiens sont satisfaits par cette décision. Cependant, leur satisfaction pourrait être de courte durée car la décision de Roger Arata est si vivement critiquée qu'elle fera l'objet d'un débat contradictoire ce jeudi.

Pourtant, les questions profondes que se posent les juristes s'agissant du refus du huis-clos par une victime sont plus sur le plan du respect des libertés fondamentales. Dans quelles mesures, la publicité des débats atteint-elle les libertés individuelles de chacune des parties, n'est-elle pas contraire au droit à l'anonymat et à long terme au droit à l'oubli.


PUBLICITÉ DES DÉBATS ET ANONYMAT

L'anonymat s'entend comme la possibilité de pouvoir s'exprimer, penser librement sans être inquiété dans les limites définies par la loi. En ce sens, c'est un droit qui découle directement de l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) et est repris à l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et du Citoyen (CESDH)

L'élargissement de ce droit mène à l'émergence de différents droits et libertés fondamentales tels que la liberté d'expression, le droit au respect de la vie privée inscrit à l'article 9 du code civil (al.1) et sa protection (article 9 al.2, C.Civ). Cependant, l'article 11 DDHC précise qu'il ne peut être fait abus du droit à s'exprimer librement et la CESDH en son article 8, 2 indique que la loi peut ingérer dans ce droit s'il en va notamment des cas expressément prévus par elle si cela est nécessaire « à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Cela implique donc que le droit au respect de la vie privée se perd dès lors qu'une infraction pénale est commise, ce qui va dans le sens de l'article 306 al.1 du CPP relatif à la publicité des débats et la possibilité pour les victimes de renoncer au huis-clos.

En l'espèce, les accusés de l'affaire Pélicot ont violé les articles 11 DDHC et 8 CESDH et n'ont donc plus le droit au respect de leur vie privée, ce qui permet aux journalistes et au public présents aux audiences de les citer nommément contrairement à ce qu'affirment leurs avocats qui ont fait part de leur intention de déposer des plaintes contre les associations féministes et les personnes ayant divulgué leur identité complète sur les réseaux sociaux.

C'est pourtant bien de plein droit que les journalistes et les personnes présentes au procès qui est public, de par la volonté de Gisèle Pélicot, peuvent nommer les accusés. Le fait que les journalistes n'indiquent que le prénom et l'initial du nom de famille des accusés n'est subordonné qu'à la charte de chacun des médias pour lesquels ils suivent le procès. D'autant que cette divulgation, à la lumière des articles précités, ne vient en aucune façon entacher la présomption d'innocence dont jouissent les accusés.

Se pose alors la question du droit à l'oubli car si les accusés ont perdu le bénéfice du droit au respect de leur vie privée, pourront-ils un jour se faire oublier de l'opinion publique ?


PUBLICITÉ DES DÉBATS ET DROIT À L'OUBLI EN MATIÈRE PÉNALE

Le droit à l'oubli découle directement des articles 9 DDHC, 7, paragraphe 1 de la CESDH et 14.2 du pacte international relatif aux droits civils mais c'est en 1984 que la justice française vient consacrer le principe du droit à l'oubli à l'occasion d'une décision du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris en décidant que « toute personne qui s'est trouvée associée à un évènement public, même si elle en a été la protagoniste, est fondée à revendiquer un droit à l'oubli et à s'opposer au rappel d'un épisode de son existence ».

En d'autres termes, toute personne qui a été soupçonnée ou condamnée pénalement à le droit, au-delà d'un certain délai, de ne plus être traités au regard des faits pour lesquels elle s'est acquittée de sa dette.

Si ce droit est aujourd'hui inscrit dans la loi français à l'article 9-1 du code civil depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, elle n'avait pas pris en compte le développement des outils numériques au travers des réseaux sociaux. Il a donc été nécessaire de repenser le principe afin de l'appliquer aux nouvelles technologies d'information et de communication.

Jusqu'en 2014, il n'existait pas de définition juridique du droit à l'oubli numérique. Cependant, la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) remédie à cet état de fait au travers de l'arrêt dit « Google Spain » du 13 mai 2014 (arrêt C-131/12 « Google Spain SL, Google Inc. / Agencia Española de Protección de Datos, Mario Costeja González ») en définissant le droit à l'oubli numérique comme étant l'obligation de « supprimer de la liste de résultats affichés à la suite d'une recherche effectuée à partir du nom d'une personne, des liens vers des pages web, publiée par des tiers et contenants des informations relatives à cette personne. ». Cette décision est fondée sur l'article 8 CESDH et amènera à la création du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) en vigueur en France depuis le 25 mai 2018.

Mais, toutes ces dispositions législatives ne tiennent pas compte de la place importante que prennent des lois mémorielles et le droit revendiqué par les victimes de ne pas oublier. De fait, la question du droit à l'oubli divise autant les juristes que la société et deux camps s'opposent : les partisans du droit à l'oubli qui considèrent que l'accusé acquitté aura payé un cher tribu et que le condamné par la peine reçue aura payé sa dette, et les partisans du souvenir pour qui ne pas oublier est un outil afin que les faits reprochés ne se produisent plus jamais.

Dans le cas de l'affaire Pélicot, qui traumatise profondément la société, on peut se demander si telle l'affaire D'Outreau, cela ne restera pas à jamais gravé dans l'inconscient collectif tant les faits reprochés aux accusés sont d'une gravité sans précédent, quel employeur aura envie de recruter un des accusés en ayant connaissance des faits, quelle personne sera en mesure de faire confiance à des hommes capables d'un tel comportement envers une femme endormie.

Au demeurant, se pose légitimement la question de savoir s'il n'est pas nécessaire de continuer d'en parler, sachant qu'en tout état de cause, cette affaire fera date et sera enseignée dans les facultés de droit. Même s'il est indéniable que chacun des accusés en cas de condamnation payera sa dette envers la victime et la société, il est fort à parier que nul n'oubliera et que l'avenir s'annonce difficile pour les accusés. De fait, peut-on aujourd'hui assurer qu'ils pourront un jour avoir droit à l'oubli ?



Sources : 

https://larevuedesmedias.ina.fr/proces-viols-mazan-pelicot-anonymat-accuses

https://www.lemonde.fr/societe/visuel/2024/09/28/qui-sont-les-accuses-du-proces pelicot_6337406_3224.html

https://www.liberation.fr/societe/police-justice/affaire-des-viols-de-mazan-le-proces-dun-long supplice-20240901_5KQYBPCTQNDAZN64LZMMYEZWPU/

https://www.sudouest.fr/justice/proces-des-viols-de-mazan-le-mari-chef-d-orchestre-d-une decennie-de-viols-au-centre-des-debats-21311935.php

https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/video-affaire-des-viols-de-mazan-comment-l intervention-d-un-vigile-a-permis-l-arrestation-de-dominique-pelicot-5438900

https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/proces-des-viols-de-mazan-les-policiers-m ont-sauve-la-vie-affirme-la-victime-6315259

https://www.femmeactuelle.fr/actu/news-actu/affaire-des-viols-de-mazan-ce-nombre-effroyable de-videos-retrouvees-dans-les-fichiers-de-dominique-pelicot-2181326

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071154/ LEGISCTA000006167465/

https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres/libertes-et-ordre-public

https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/declaration-des-droits-de-l homme-et-du-citoyen-de-1789

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070721/ LEGISCTA000006117610/#LEGISCTA000006117610

https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/Convention_FRA

https://rm.coe.int/1680063776

https://www.conseil-etat.fr/actualites/droit-a-l-oubli-le-conseil-d-etat-donne-le-mode-d-emploi

https://www.cabinetaci.com/le-droit-a-loubli-en-droit-penal/

https://www.village-justice.com/articles/droit-oubli-numerique-apres-arret,16901.html

https://shs.cairn.info/revue-les-cahiers-portalis-2016-1-page-25?lang=fr

https://www.village-justice.com/articles/droit-oubli-numerique-apres-arret,16901.html

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A62012CJ0131

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000006493405/2000-06-16/

https://www.lexbase.fr/article-juridique/8036876jurisprudencelaloimemoriellelejugepenaletlhistoire


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