Le harcèlement moral institutionnel consacré par la Cour de cassation

28/01/2025

©AFP/Archives/MYCHELE DANIAU

Un article écrit par Colombe MARANDON 

Le harcèlement moral institutionnel consacré par la Cour de cassation

Si le harcèlement moral au travail est incriminé depuis 2002, la Cour de cassation vient d'intégrer à ce domaine une qualification juridiquement inédite. Ce mardi 21 janvier 2025, la chambre criminelle du Quai de l'horloge a reconnu le « harcèlement moral institutionnel ». Une notion absente du Code pénal autant que du Code du travail.

Statuant sur l'affaire des suicides de France Télécom, les juges décrivent un délit identifiable « lorsque des dirigeants déploient une politique d'entreprise qui, en connaissance de cause, conduit à une dégradation des conditions de travail de tout ou partie de leurs salariés ».

Privilégier les chiffres aux employés ?

Le harcèlement moral institutionnel s'illustre comme le sacrifice de salariés aux priorités financières de l'entreprise. La dégradation des conditions de travail par l'application de politiques sociétaires violentes.

Le 1er septembre 2020, la Cour de cassation admettait que des méthodes de gestion du travail puissent être à l'origine de harcèlement moral. Dans l'affaire France Télécom, c'est par un arrêt d'appel du 30 septembre 2022 que la notion de « harcèlement moral institutionnel » fut initialement retenue.

En l'espèce, l'entreprise France Télécom est tenue responsable des conséquences de ses plans de mobilité interne et de réduction d'effectifs. L'objectif est de privatiser France Télécom, devenue Orange.

Les conséquences humaines des méthodes employées sont dramatiques : des burn-outs, des dépressions, des milliers de salariés en détresse psychologique. 35 d'entre eux sont allés jusqu'à se suicider.  Un bilan pour lequel les deux plus hauts dirigeants de l'époque, Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès, ont été reconnus coupables.

Le harcèlement moral institutionnel découle d'une dégradation intentionnelle des conditions de travail. Le caractère délibéré est en principe indispensable à une telle qualification. En outre, le harcèlement institutionnel n'a pas à relever d'une relation intrapersonnelle.

Bien que cette infraction touche aux modes d'action et de gouvernance d'une société, la Cour n'incrimine pas les stratégies d'entreprise elles-mêmes. Les juges font grief à France Télécom du mode d'application de ces plans.

La sanction du harcèlement moral institutionnel prend la forme d'une peine allant jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Celle-ci s'applique à l'entreprise aussi bien qu'à certains de ses dirigeants.

Lorsqu'on ignore les rôles de chacun dans le cadre d'une stratégie sociétaire, à quels dirigeants imputer un délit ? Qui est auteur, qui est complice ?

En l'espèce, les dirigeants étaient conscients de la dégradation des conditions de travail, l'ayant vu et entendu à de multiples reprises de la part des salariés. Les ex-numéro 1 et numéro 2 de France télécom furent désignés responsables dès la première action en justice.

Au sein d'une chaîne de décisions managériales, il est parfois complexe d'identifier les coupables. La frontière est fine entre auteur véritable et complice par instigation.

La Cour de cassation considère qu'en cas de harcèlement moral institutionnel, la responsabilité des dirigeants se fonde sur le dépassement manifeste du pouvoir de direction.


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« Un détournement du Code du travail »

C'est ce que Pascal Lokiec, professeur de droit, retient de cette situation.

France Télécom a privilégié des stratégies destructrices pour réduire ses effectifs en pleine période de privatisation : « exercer une pression sur les salariés pour qu'ils quittent eux-mêmes l'entreprise en démissionnant. ».

Si l'entreprise avait opéré des licenciements économiques, l'affaire aurait mieux fini. La difficulté étant qu'une vague de licenciements pour motif économique coûte très cher à l'entreprise. 

« Le droit coûte cher et prend du temps, mais protège des valeurs ».

L'arrêt du 21 janvier 2025 consacre une notion importante pour l'avenir du droit social, mais il faut rappeler que l'affaire France Télécom n'est pas un cas isolé. Face à certaines techniques de management, malgré une prise en charge psychologique qui s'améliore, 3 millions de salariés français se déclarent en épuisement professionnel.

Dans le Code du travail comme dans le Code pénal, l'incrimination du harcèlement est très limitée.

Une réforme législative, intégrant de nouveaux articles clairs et concrets, serait opportune pour garantir au mieux le bien-être des justiciables.



Sources : Cour de cassation, Amplitude du droit, France Info, Village de la Justice, Dalloz.

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