L'affaire P. Diddy

06/10/2024

P. Diddy ©NurPhoto / AFP

Par Anaïs Lebon


Sean Combs, aussi connu sous les noms de Puff Daddy, P. Diddy ou encore Diddy est un rappeur et producteur américain de 54 ans qui a fondé son propre label en 1993 (« Bad Boy Records »). Il a révélé de nombreux rappeurs américains. C'est aussi un homme d'affaires qui a fondé sa propre marque de vêtement, sa chaîne de télévision et qui a investi dans l'industrie de l'alcool. Selon le magazine Forbes, sa fortune personnelle est estimée à environ 400 millions de dollars.


De quoi est-il accusé ?


Il est accusé par les procureurs fédéraux de New-York d'avoir utilisé son empire pour orchestrer un système de trafic sexuel violent. Dans son acte d'inculpation on peut lire que « pendant des décennies, le rappeur a abusé, menacé et contraint des femmes et d'autres autour de lui à satisfaire ses désirs sexuels, protéger sa réputation et dissimuler ses actes ». Lorsqu'il n'obtenait pas ce qu'il voulait, P. Diddy était violent. Les révélations et les dépôts de plainte sont relativement récents, mais les faits remonteraient pour certains au début des années 1990. Au 26 septembre, dix plaintes pour des faits de violence sexuelle avaient été enregistrées.

Le point de départ de l'affaire P. Diddy est la plainte pour viol, violences et trafic sexuel déposée par son ex-compagne, la chanteuse Cassandra Ventura le 16 novembre 2023. Elle l'accuse de l'avoir violé en 2018 et d'avoir eu un comportement violent et déviant avec elle pendant 10 ans, en la forçant notamment à avoir des relations sexuelles filmées avec des prostitués masculins, à boire et à se droguer. Elle révèle l'existence des « Freak Offs », des soirées sexuelles de plusieurs heures, voire de plusieurs jours. L'affaire s'est résolue par un arrangement financier le 17 novembre. Elle a toutefois permis à d'autres victimes de prendre la parole.

En novembre 2023, deux nouvelles plaintes ont été déposées pour des viols commis dans les années 1990. Liza Gardner affirme avoir été violée, puis agressée physiquement par le producteur ainsi qu'un autre chanteur, Aaron Hall, alors qu'elle n'avait que 16 ans. Joie Dickerson-Neal affirme quant à elle avoir été droguée à son insu, agressée sexuellement, et filmée. Elle a déposé une plainte pour agression, trafic d'êtres humains et chantage lié à la diffusion d'une vidéo sexuelle.

Le 2 décembre 2023, une plainte anonyme pour viol sur mineure survenu en 2003 a été déposée. D'après la plaignante, le musicien et deux de ses complices l'auraient enlevée en 2003, alors qu'elle n'avait que 17 ans, avant de l'agresser dans le studio d'enregistrement du rappeur.

L'ancien producteur de Sean Combs, Rodney Jones, accuse le rappeur de l'avoir agressé sexuellement, drogué et violé. Il décrit un système organisé et affirme détenir des centaines d'heures d'enregistrement de soirées mêlant drogues, travailleurs du sexe, mineurs et soumission chimique.

Le 21 mai 2024, la mannequin Crystal McKinney accuse Sean Combs de l'avoir conviée dans son studio, de l'avoir incitée à consommer de l'alcool et de la marijuana jusqu'à ce qu'elle ne soit plus lucide, puis de l'avoir contrainte à lui faire une fellation. Elle affirme également que le producteur aurait exercé des pressions sur elle pour l'empêcher de déposer plainte.

Le 24 mai 2024, April Lampros a déposé une plainte contre le producteur pour quatre agressions sexuelles, survenues en 1995 et 1996, alors qu'elle était étudiante. Selon elle, Sean Combs l'aurait droguée, puis, sous l'emprise de l'ecstasy, contrainte à avoir des relations sexuelles avec la petite amie de l'époque du chanteur. Elle a également mentionné avoir été filmée à son insu.

Le 10 juin 2024, Derrick Lee Cardello-Smith, actuellement détenu pour des faits d'agressions sexuelles, accuse Sean Combs de l'avoir violé lors d'une fête à Detroit en 1997 après l'avoir drogué.

Le 10 septembre 2024, Dawn Richards, ex-chanteuse du groupe Danity Kane, a déposé une plainte contre Sean Combs pour agressions sexuelles, violences et maltraitance. Elle affirme avoir été privée de sommeil et de nourriture pendant sa participation à Making the Band, une émission de téléréalité musicale sur MTV animée par le magnat du rap, et avoir été victime d'attouchements de sa part. Elle témoigne également avoir été témoin de violences conjugales.

Le 24 septembre 2024, une semaine après l'arrestation de P. Diddy, Thalia Graves accuse Sean Combs de l'avoir violée avec brutalité en 2001 dans les studios de sa maison de production à New York, avec l'aide d'un complice et sous l'effet d'une substance chimique.

P. Diddy est actuellement accusé d'agressions sexuelles par 120 nouvelles victimes représentées collectivement par le même avocat. 25 d'entre elles étaient mineures au moment des faits. Dans 90% des cas, ces individus ont été drogués avant d'être agressés. Après l'arrestation de P. Diddy en septembre, une ligne d'écoute téléphonique a été mise en place par l'avocat pour tenter de récolter d'autres témoignages.


Pourquoi n'est-il poursuivi que maintenant ?


Bien que certains faits qui lui sont reprochés datent des années 1990, les plaintes déposées à son encontre sont relativement récentes. Plusieurs raisons permettent d'expliquer ce phénomène. Tout d'abord, il existe une forme d'omerta, de loi du silence, à propos de ces faits. Il semble même que certaines agressions soient restées secrètes en raison de l'achat du silence de certaines personnes. De plus, de nouvelles lois ont été adoptées aux Etats-Unis, particulièrement à New-York pour lutter contre les violences sexuelles. Parmi ces nouvelles lois figurent l' « Adult Survivors Act » et le « Victims of gender motivated violence protection law ». Plusieurs plaintes ont été déposées contre le rappeur dans le cadre de ces lois.

L' « Adult Survivors Act » est une loi de l'État de New-York, promulguée en mai 2022, qui modifie la loi de l'État pour permettre aux victimes présumées de porter plainte pour viol ou agression sexuelle, même si les faits sont prescrits, et ce pendant un an à partir de l'entrée en vigueur de l'acte.

Le « Victims of gender motivated violence protection law » a permis d'instaurer, à compter du 1er mars 2023, une période de deux ans pendant laquelle les victimes présumées de violences motivées par le genre pourront intenter une action civile pour des faits qui auraient été prescrits autrement. Cette loi protège les personnes victimes de violences qui sont spécifiquement motivées par le sexe, ce qui se produit lorsque l'acte est commis en raison du sexe ou sur la base du sexe, et en raison, au moins en partie, d'une animosité fondée sur le sexe de la victime.


P. Diddy est-il le seul mis en cause dans cette affaire ?


Plusieurs personnes proches de Diddy sont directement impliquées dans les plaintes, étant accusées, d'une manière ou d'une autre, d'avoir pris part à des viols collectifs. Parmi elles figurent son fils Justin Dior Combs, certains employés du rappeur, l'acteur Cuba Gooding Jr., ainsi que plusieurs cadres de l'industrie musicale, tels que Harve Pierre (le président de Bad Boy Records), Lucian Grainge (le directeur général d'Universal Music) et Ethiopia Habtemariam (l'ancienne dirigeante de Motortown Records).

D'autres grandes stars internationales sont également mentionnées pour leur présence aux soirées mondaines organisées par Sean Combs dans les années 1990 et 2000, notamment lors des célèbres « white parties » où les invités devaient se vêtir de blanc. Parmi elles, Leonardo Dicaprio, qui figure sur des photos avec une coupe de champagne aux côtés du rappeur, ainsi que le milliardaire Donald Trump, qui n'était pas encore engagé en politique. Le prince William est aussi mentionné dans une plainte, présenté comme une figure de prestige ayant renforcé la légitimité de Diddy. Cependant, aucun d'entre eux n'est suspecté d'avoir participé ou d'avoir été au courant des viols présumés.


Sean Combs reconnaît-il les faits qui lui sont reprochés ?


Au départ, P. Diddy rejetait en bloc les accusations portées contre lui. Cependant, face à la multiplication des accusations et à certains éléments troublants, comme la découverte de 1000 bouteilles de lubrifiant lors d'une perquisition à son domicile, il affirme désormais vouloir coopérer avec la justice. Selon des sources du département américain de la justice, le juge chargé de l'affaire a, à deux reprises, refusé de répondre favorablement aux demandes des avocats de P. Diddy visant à obtenir sa libération sous caution . Il demeure donc en détention provisoire en attendant son procès, où il encourt une peine allant de 15 ans de prison à la réclusion à perpétuité.

En mai, CNN a diffusé une vidéo de surveillance datant de 2016 montrant Sean Combs, vêtu d'une serviette de bain, traînant au sol son ex-compagne Cassie et la frappant à plusieurs reprises. Après la diffusion de ces images, le producteur de musique a admis les faits et qualifié son comportement d'inexcusable. Depuis, sa défense met en avant sa volonté de coopérer avec la justice, précisant qu'il est revenu volontairement à New York pour répondre aux questions des autorités.


Pourquoi cette affaire a-t-elle une dimension politique ?


Au fil des années, Sean Combs a noué des liens étroits avec les milieux politiques et philanthropiques américains, notamment avec le camp démocrate. Il s'est engagé activement en faveur de l'éducation dans les quartiers défavorisés, en investissant des sommes importantes dans un réseau d'écoles secondaires semi-privées, un partenariat qui a pris fin en 2023. Il a également fait un don d'un million de dollars à l'université Howard, une prestigieuse institution afro-américaine où il a brièvement étudié le commerce. En juin, l'université a toutefois décidé de restituer ce don.

Engagé pour la cause afro-américaine, Sean Combs s'est exprimé en faveur du président démocrate Joe Biden lors des élections de 2020. Il a d'ailleurs déclaré dans le podcast « Revolt TV » que « Les hommes blancs comme Trump doivent être écartés. [Sa] façon de penser est dangereuse », tout en annonçant la création d'un parti dédié à la représentation des Afro-Américains. Ces prises de position ont conduit les partisans de Trump à instrumentaliser aujourd'hui l'affaire P. Diddy pour discréditer le camp démocrate. En réponse, les Démocrates rappellent que Trump a lui-même côtoyé le rappeur pendant de nombreuses années.

Par ailleurs, l'affaire P. Diddy intervient dans un contexte où la question de la soumission chimique est au cœur des débats en France (procès des viols de Mazan). La soumission chimique est définie comme l'administration à des fins criminelles ou délictuelles de substances psychoactives à l'insu de la victime ou sous la menace. Les effets de cette soumission chimique peuvent être la sédation, l'amnésie ou la désinhibition de la victime.

La sédation est l'effet le plus recherché par les personnes mal intentionnées. Elle permet de diminuer suffisamment le niveau de vigilance de la victime afin de la rendre plus vulnérable à l'agression. La sédation correspond à un état où la victime est consciente, mais conserve ses capacités motrices. L'amnésie de la victime permet aux agresseurs de commettre leurs actes sans lui laisser de souvenirs, entraînant ainsi un dépôt de plainte compliqué pour les victimes. La description de l'agresseur, les circonstances et les lieux de l'agression sont flous, voire inexistants. En détériorant la mémoire de leurs victimes, les agresseurs se protègent contre le système judiciaire.


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