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La loi immigration et le Conseil constitutionnel
Par Anaïs Lebon
© alta/AdobeStock
Rappel pédagogique : Qu'est-ce que le Conseil constitutionnel ?
Le Conseil constitutionnel a été institué par la Constitution de la Vème République, en date du 4 octobre 1958. C'est une juridiction dotée de compétences variées, notamment du contrôle de conformité de la loi à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel est composé de membres nommés et de membres à vie. Les membres nommés sont au nombre de neuf. Trois sont choisis par le président de la République, trois par le président de l'Assemblée nationale et trois par le président du Sénat. Sont appelés à y siéger aussi des membres à vie et de droit, qui sont les anciens présidents de la République. La présidence du Conseil est assurée par l'un des membres, nommé par le président de la République. Le président du Conseil constitutionnel est actuellement Laurent Fabius. Les membres nommés du Conseil constitutionnel le sont pour 9 ans. Pour garantir la continuité de l'institution, et de sa jurisprudence, ils sont renouvelés par tiers tous les 3 ans.
Le Conseil constitutionnel peut effectuer deux types de contrôle : un contrôle des lois non promulguées (contrôle a priori) et un contrôle des lois déjà promulguées (contrôle a posteriori).
I- Le contrôle de constitutionnalité a priori
La Constitution prévoit d'abord que certains textes verront leur constitutionnalité obligatoirement contrôlée par le Conseil avant leur entrée en vigueur. Il s'agit des lois organiques, qui portent sur des matières constitutionnelles, du règlement de l'Assemblée nationale et du règlement du Sénat. Le Conseil peut ensuite être appelé à vérifier la constitutionnalité de n'importe quelle loi.
En 1958, l'initiative de la saisine avait été attribuée uniquement au Président de la République, au Premier ministre, au président de l'Assemblée nationale et au président du Sénat. La réforme constitutionnelle du 29 octobre 1974 a ensuite considérablement élargi la saisine en autorisant 60 députés ou 60 sénateurs à saisir le Conseil constitutionnel.
Lorsqu'une loi est déclarée non conforme à la Constitution, elle ne peut pas être promulguée. Le texte de loi doit donc ensuite être modifié pour tenir compte des observations du Conseil avant d'être soumis à nouveau au Parlement sous forme de projet ou de proposition de loi. Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas susceptibles de recours.
II- Le contrôle de constitutionnalité a posteriori : la question prioritaire de constitutionnalité
La loi du 10 décembre 2010 a consacré une nouvelle procédure qui a conduit à ce que le contrôle de constitutionnalité ne soit plus réservé aux politiques, mais ouvert à n'importe quel justiciable.
Ainsi, tout justiciable peut soulever, devant toute juridiction et à l'occasion de n'importe quel litige (en première instance, en appel ou en cassation), une question portant sur la constitutionnalité d'une disposition législative qui lui est applicable au cours d'un litige. Il doit invoquer, non pas n'importe quelle disposition constitutionnelle, mais des droits ou des libertés qui lui sont reconnus par la Constitution.
Le Conseil d'Etat et la Cour de cassation vérifient si la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux avant de la transmettre au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel dispose ensuite d'un délai de 3 mois pour se prononcer sur la constitutionnalité de la disposition législative litigieuse. Si le Conseil constitutionnel déclare la disposition contraire à la Constitution, il l'abroge, c'est-à-dire qu'elle disparaît pour l'avenir dans l'ordre juridique.
La nouvelle procédure de la question prioritaire de constitutionnalité a conduit à un renforcement de la protection des libertés individuelles.
(Source : Droit constitutionnel et institutions politiques, Philippe Ardant et Bertrand Mathieu)
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Retour sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la loi immigration.
CC, 25 janvier 2024, n°2023-863
Le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration a été déposé le mercredi 1er février 2023. Le 25 janvier 2024 le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur cette loi dans une décision n°2023-863. Il en avait été saisi par le Président de la République, par la Présidente de l'Assemblée nationale et par deux recours émanant, l'un, de plus de soixante députés et, l'autre, de plus de soixante sénateurs.
Une décision du Conseil constitutionnel déclarant une loi inconstitutionnelle fait obstacle à sa promulgation. Si une seule partie du texte est déclarée inconstitutionnelle, la loi peut être partiellement promulguée si les articles sont séparables de l'ensemble du dispositif. Le Conseil constitutionnel peut aussi déclarer des dispositions législatives conformes à la Constitution sous certaines réserves d'interprétation.
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a censuré 32 articles de ce projet de loi. Il a assorti de réserves d'interprétation deux autres articles et a déclaré 10 articles partiellement ou totalement conformes à la Constitution.
Les articles sanctionnés comme étant des cavaliers législatifs :
Le Conseil constitutionnel a censuré partiellement ou totalement certains articles de loi qualifiés de cavaliers législatifs. La notion de « cavaliers législatifs » renvoie à des articles introduisant des dispositions légales qui n'entrent pas dans le champ d'application ni dans l'objet de la loi discutée devant le Parlement. Le Conseil constitutionnel a apprécié l'existence d'un lien, direct ou indirect, entre les mesures introduites dans la loi en préparation par des amendements et le projet de loi déposé. Il a identifié 32 articles n'ayant pas de lien avec le projet de loi. Ils ont donc été censurés.
Exemple d'article partiellement censuré par le Conseil constitutionnel :
L'article 1er de la loi déférée a été partiellement censurée par le Conseil constitutionnel. Cet article prévoyait, en outre, que le Parlement détermine, pour les trois années à venir, le nombre d'étrangers autorisés à s'installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l'exception de l'asile.
Or, le Conseil constitutionnel a fait valoir qu'aucune exigence constitutionnelle ne permettait au législateur d'imposer au Parlement l'organisation d'un débat en séance publique ou la fixation par ce dernier de certains objectifs chiffrés en matière d'immigration. Une telle obligation pourrait faire obstacle aux prérogatives que le Gouvernement, ou chacune des assemblées, tiennent de la Constitution pour la fixation de l'ordre du jour.
Le Conseil constitutionnel juge en revanche que le reste de l'article 1er, qui vise à prévoir la remise d'un rapport destiné à assurer l'information du Parlement, ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle.
Exemple d'article totalement censuré par le Conseil constitutionnel :
L'article 38 de la loi déférée a également été censuré. Cet article permettait à un officier de police judiciaire de recourir à la contrainte pour procéder à la prise d'empreintes ou de photographies d'un étranger, en cas de refus, lors d'un contrôle aux frontières extérieures ou dans le cadre de la vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français.
En adoptant ces dispositions, le législateur a souhaité faciliter l'identification des étrangers en situation irrégulière. Il a ainsi poursuivi un objectif à valeur constitutionnelle, qui participe à la sauvegarde de l'ordre public.
Néanmoins, ces opérations ne sont ni subordonnées à l'autorisation du Procureur de la République, ni subordonnées à l'obligation de démontrer qu'elles constituent l'unique moyen d'identifier la personne. De plus, aucune disposition de cette loi ne prévoyait que la prise d'empreintes digitales ou de photographies, sans le consentement de la personne contrôlée, doit être effectuée en présence de l'avocat de celle-ci (lorsqu'elle a demandé l'assistance d'un avocat). Or, le Conseil constitutionnel rappelle que la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 prévoit le principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit pas nécessaire.
C'est pour ces motifs que le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions contestées privent de garanties légales certaines exigences constitutionnelles et a censuré l'article 38 du projet de loi.
Les articles assortis de réserves d'interprétation :
Le Conseil constitutionnel a assorti de réserves d'interprétation la déclaration de conformité à la Constitution des articles 14 et 42 de la loi déférée.
Selon le Conseil constitutionnel, l'article 14 doit s'entendre comme imposant à l'autorité administrative d'informer l'étranger, lors du dépôt de sa demande, qu'il doit transmettre l'ensemble des éléments justificatifs permettant d'apprécier sa situation au regard de tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance de l'un des titres de séjour visés par l'expérimentation.
L'article 42 de la loi déférée porte à un an, renouvelable deux fois, la durée de l'assignation à résidence dont peuvent faire l'objet certains étrangers soumis à une mesure d'éloignement. Le Conseil constitutionnel estime qu' il appartient à l'autorité administrative de tenir compte, lors de chaque renouvellement, des conditions et des lieux d'assignation à résidence, de la contrainte qu'ils imposent à l'intéressé, du temps déjà passé sous ce régime et des liens familiaux et personnels noués par ce dernier.
Exemple d'article déclaré conforme à la Constitution :
Certaines dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution. Parmi ces dispositions figure l'article 46 de la loi déférée prévoyant que l'étranger qui souhaite obtenir la délivrance d'un document de séjour est tenu de souscrire un contrat par lequel il s'engage à respecter les principes de la République. Ce contrat prévoit l'engagement de respecter la liberté personnelle, la liberté d'expression et de conscience, l'égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République et l'intégrité territoriale. Il prévoit aussi de ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers.
Suite à cette large censure par le Conseil constitutionnel, le projet de loi a dû faire l'objet de modifications. Il a finalement été promulgué le 26 janvier 2024. Selon le Journal officiel, les premières instructions d'application ont déjà été présentées aux préfets. Le texte final conserve la structure initialement souhaitée par le Gouvernement, avec un large volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants.
(Sources : Conseil constitutionnel, Assemblée nationale, La Tribune)