Film: « 12 Hommes en colère »
Par Jules Penel
Le cinéma et la justice, deux domaines pourtant distincts, l'un relevant de l'artistique et l'autre du scientifique. Toutefois, il arrive que le cinéaste et le juriste collaborent le temps de 1 heure 30 pour projeter sur le grand écran les enjeux propres au système judiciaire.
Nombreux sont les films qui ouvrent aux spectateurs les portes du prétoire, portant alors sur leurs pellicules l'émotion inhérente au procès. Si filmer le droit est devenu pratique courante du cinéma, on doit cela en partie au réalisateur américain Sidney Lumet et son film « Douze Hommes en colère » sorti en 1957.
![Affiche du film 12 Hommes en colère - © United Artists Corp](https://26694ce817.cbaul-cdnwnd.com/774618f3863daef5a9bf1fc51441adaf/200000072-076b3076b7/290px-12_Angry_Men_%281957_film_poster%29.jpeg?ph=26694ce817)
Sidney Lumet, « le maître du polar juridique »
Si nombreux sont les films de procès qui ont marqué les esprits, le huis clos mis en scène par Sydney Lumet semble être au panthéon de ces derniers. Certaines critiques cinématographiques, envisagent alors le réalisateur américain comme le fondateur de ce genre de film, ce qui lui a valu le surnom du « maître du polar juridique ».
Tourné en seulement 21 jours avec des moyens restreints (340 000 dollars), le long métrage a été un véritable succès, en témoignent ses 3 nominations à la cérémonie des Oscars de 1958 et l'Ours d'or remporté la même année au Festival de Berlin.
Le succès est tel que le Congrès américain conserve aujourd'hui la pellicule dans sa bibliothèque. Si vous n'êtes toujours pas convaincu de son importance, alors prenez place au sein de la salle de délibération de la Cour criminelle de New York !
« Un Homme a été tué, et la vie d'un autre est en jeu »
Cette phrase énoncée par le Procureur résonne dans les têtes des douze membres du jury. En effet, après avoir entendu les plaidoiries du procès d'un jeune homme suspecté de parricide, ces derniers ont entre les mains le destin d'un accusé de 18 ans : s'il est déclaré coupable à l'unanimité, le jeune homme sera alors condamné à mort, sinon il sera libéré.
Les jurés se réunissent alors autour d'une table puis votent à main levée. Onze d'entre eux votent d'emblée pour la culpabilité de l'accusé. Seul le juré no 8 (joué par l'incroyable Henry Fonda), un architecte, vote non coupable car il n'est pas certain. Étant donné la portée symbolique et le poids moral d'envoyer possiblement une personne vers la mort, il cherche le débat auprès des autres jurés.
Seul contre tous, il va réussir à rallier à sa cause d'autres jurés en repassant minutieusement chaque fait, preuve, témoignage. Voilà que l'architecte se fait avocat de la défense afin de bâtir une décision juste. Lui-même n'est pas convaincu de l'innocence de l'accusé, il estime seulement que la vie d'un homme mérite quelques minutes de débat.
« Cela crée un drame tendu, absorbant et convaincant qui va bien au-delà des limites étroites de la salle de son jury » New York Times
Le scénario de Reginald Rose mis au service du talent de Sidney Lumet crée un microcosme reflétant de véritables enjeux psychologiques et juridiques.
D'une part, elle offre aux spectateurs une vision intéressante de la raison humaine : l'ambiance étouffante du huis clos met en lumière l'inconfort du corps et de l'esprit pour changer d'opinion. La salle de délibération se fait alors allégorie de la caverne.
D'autre part, le film pousse à la réflexion sur l'institution des jurys populaires. Cette configuration ne troublerait-elle pas le droit en ce qu'elle laisserait libre au cours au désir de vengeance des individus ? Un risque mis en exergue dans le long métrage à travers le juré n°3, qui pour retenir la culpabilité du jeune homme, s'attache à sa situation personnelle.
Toutefois, le film se veut assez flatteur de l'institution du jury populaire, ou plutôt du dialogue qui peut s'y nouer. Les jurés proviennent tous de milieux différents, ils ont tous une personnalité différente et pourtant par le dialogue, ils parviennent à relever la pertinence de cette injonction démocratique.
Comment alors ne pas penser aux paroles d'Aristote au sujet de la justice dans la démocratie : « Dans une collectivité d'individus, en effet, chacun dispose d'une fraction de vertu et de sagesse pratique, et une fois réunis en corps, de même qu'ils deviennent en quelque manière un seul homme pourvu d'une grande quantité de pieds, de mains, et de sens, ils acquièrent aussi la même unité en ce qui regarde les facultés morales et intellectuelles. » (Aristote, (La Politique, Vrin, trad. Tricot, 1281b)
Les cours criminelles départementales, un « crime Contre la démocratie » ?
Sans anachronisme et loin du continent américain et de la Grèce antique se joue actuellement sur l'Hexagone la plaidoirie des jurys populaires. Ce plaidoyer fait suite à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 24 novembre 2023 (Décision QPC n° 2023-1069/1070 du 24 novembre 2023) déclarant que les dispositions législatives organisant l'existence et le fonctionnement des cours criminelles départementales sans jury sont conformes à la Constitution.
De ce fait, le juge du Palais Royal refuse de constitutionnaliser en PFRLR (principes fondamentaux reconnus par les lois de la république) ou en PVC (principe à valeur constitutionnelle) l'intervention du jury devant les cours d'assises.
Sans rentrer dans les détails concernant cette décision, cette dernière a divisé la doctrine entre ceux qui considèrent que le jury scellerait « le contrat social dont il est le ferment » (B. Weachter, Le < jury > < criminel > à l'épreuve de la souveraineté populaire, LPA 1996, n° 43, p. 9.) et d'autres qui viennent mettre en évidence les risques d'une décision trop subjective qui ne représenterait pas de manière effective la volonté générale.
Même si le film est en noir et blanc, on voit bien que les enjeux qu'ils comportent n'ont pris aucune ride. Ainsi pour vous fonder votre propre avis, je ne peux que vous inviter à devenir à votre tour le juré numéro 13 !
Sitographie :
Le Conseil constitutionnel refuse de faire de l'intervention du jury criminel un principe constitutionnel Par Benjamin Fiorini - JP blog (juspoliticum.com)