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Les 20 ans du "plaider-coupable" à la française : la CRPC, entre périls et efficacité.
©P. Cabaret
Par Colombe Marandon
Au début du nouveau millénaire, des émeutes secouent la France. Le modèle pénal peine à tenir la cadence : les juridictions suffoquent face au flux d'infractions. Il faut désengorger les tribunaux, mais comment pallier le manque de moyens judiciaires sans entacher l'équité des décisions ? Cette question tourne en boucle depuis des années.
Pour les institutions européennes, la priorité est à la simplification des procédures. Dès 1987, la Cour Européenne des Droits de l'Homme évoque l'instauration d'une forme de comparution immédiate. Fin décembre 2002, le Conseil de l'Europe donne naissance à la Commission européenne pour l'efficacité de la Justice.
Le modèle anglo-saxon, lui, assure sa productivité grâce au plea bargaining. Utilisé pour les délits routiers autant que pour les crimes graves, le plaider-coupable est aujourd'hui une procédure phare de la common law.
Tous les systèmes s'accordent sur un thème : il faut augmenter la célérité de la justice ! Juger plus sans dépasser les budgets.
Le plea bargaining, les comparutions immédiates, les procédures accélérées apparaissent comme des solutions miraculeuses. Pourtant, la France fait de la résistance. Aux yeux du corps doctrinal, favoriser l'économie du système pénal signifierait sacrifier la qualité des jugements.
Plus qu'un blocage fonctionnel, un blocage culturel entre en jeu.
Une nouvelle ère judiciaire
C'est là qu'intervient Dominique Perben, garde des Sceaux. En 2002, le ministre de la Justice dépose un projet de loi : la Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité.
Un guilty plea à la française imitant l'efficacité d'une comparution immédiate tout en s'en distinguant par une absence de débat entre les parties. La multiplication des infractions, l'urgence de l'époque et la qualité des travaux préparatoires aboutiront à l'adoption de la loi. Pourtant, la CRPC trouve de nombreux détracteurs.
Jean Paul Jean, président de chambre honoraire à la Cour de cassation, se souvient d'un colloque de 2003 où il fut le seul à défendre la procédure face à juges et avocats scandalisés par une telle altération du procès pénal.
Les doutes perdureront un certain temps. En 2005, Robert Badinter dénonçait une répression administrée.
« J'esquisse un certain sourire lorsque l'on évoque la montée en puissance de cette procédure. En effet, qui est le maître du choix de la procédure ? L'avocat ? Le juge du siège ? Pas du tout, c'est le parquet ! Et, lorsque l'on sait que cette procédure donne tant de pouvoir au parquet, on comprend qu'il y recoure aussi volontiers : elle a été faite sur mesure pour lui ! Il est normal que le parquet entame la procédure de comparution, qui va nécessairement jusqu'à son terme. »
La relation tripartite avocats-juges-procureur se trouve en effet bien modifiée. Le Procureur joue un rôle central dans la CRPC. Il est à la fois acteur de l'accusation et négociateur, une dualité soulevant quelques débats. L'avocat de la défense n'a qu'un court délai pour plaider, la décision devant être prise rapidement.
Le rôle du juge est le plus transformé : il n'est pas chargé d'une enquête complète. Il doit se contenter de valider l'accord entre procureur et prévenu sans approfondir les éléments de preuve.
Des dilemmes éthiques.
Ce bouleversement inquiète. Comment garantir que le prévenu soit assez informé avant de faire le moindre aveu ? Comment assurer que soit prise une décision éclairée et juste ?
Le prévenu peut ressentir une certaine pression lorsque, peu informé sur le droit, il est encouragé à plaider coupable. L'aspect expéditif de la procédure conjugué à l'austérité du milieu judiciaire peut perturber la maîtrise qu'il a sur ses propres choix. Bien heureusement, un avocat l'encadre du début à la fin de la CRPC. Il est garant de l'information juridique du prévenu.
Qu'en est-il du droit des victimes à être entendues ? La CRPC commence par un huis clos avec le Procureur, le prévenu et sa défense, suivi d'une phase où le juge peut homologuer la peine. Entre les deux étapes, la victime voit son droit à la parole presque ignoré. Elle ne peut s'exprimer que pour l'indemnisation de son préjudice, et subit parfois le sentiment de moins être au cœur de l'affaire que le prévenu.
Aucune indemnisation n'effacera l'impression de passer à côté de son procès.
Paradoxalement, la CRPC vise à améliorer le dialogue en faisant passer notre système judiciaire d'une culture de confrontation à une culture de négociation. De vraies négociations sont faites entre le prévenu et le procureur, ce dernier acceptant implicitement de modérer la peine face à l'aveu de culpabilité. Face à une infraction irréfutable, le prévenu a plus intérêt à plaider coupable qu'à s'engager dans une procédure classique s'il veut bénéficier d'une peine amoindrie.
La CRPC, fille de son époque.
Depuis le début du millénaire, les procédures simplifiées se multiplient et bouleversent notre modèle judiciaire. 95 706 ordonnances de CRPC ont été mises en place en 2023, représentant près de 20% des poursuites devant le tribunal correctionnel. La procédure est particulièrement commune dans les petites juridictions. La CRPC a su trouver sa place et prouver sa pertinence.
Entre l'arrivée de l'affaire au parquet et le jugement de l'auteur, s'écoule un délai moyen de 5 mois. Le jugement pénal traditionnel prend en moyenne 12 mois. Le taux de réponse pénale en sort amélioré. Il était de 68% en 2003, contre 87% en 2023. La crainte d'une embolie judiciaire se dissipe. Les chiffres rassurent, mais la CRPC reste imparfaite. Le procès Bolloré de 2023 en est la preuve.
Dans cette affaire étaient incriminés des sociétés et leurs dirigeants. Tandis que les sociétés s'engageaient dans une CJIP, les prévenus ont souscrit à une CRPC. Le Président du tribunal a refusé d'homologuer la CRPC, jugeant les faits trop graves pour être encadrés par une telle procédure. La CJIP des sociétés et le plaider coupable effectué par les prévenus ont subi un confusion.
On a annoncé à des dirigeants ayant déjà reconnu leur culpabilité qu'ils ne pourraient finalement pas bénéficier de la clémence d'une CRPC. Une rupture d'égalité terrible ! Dans ses rares cas d'échec, la CRPC a des conséquences judiciaires graves dont les répercussions pénales et psychologiques seraient lourdes pour tout prévenu.
Une procédure qui perdure.
Si le plaider-coupable à la française présente des risques, il révolutionne le droit pénal depuis 20 ans. Aucune procédure ne peut s'y comparer en termes de célérité. Le législateur n'a jamais fait basculer la procédure vers la matière criminelle ou autre contentieux excessivement risqué malgré une popularité immense dans les juridictions. En participant à l'augmentation du taux de réponse pénale, la CRPC sort notre modèle institutionnel d'une embolie judiciaire redoutée.
Expansion vers d'autres matières ? Disparition face à trop de controverses ? La CRPC tient bon. Le reste, on le saura dans 20 ans !
Sources
Colloque « La CRPC : 20 ans déjà » à la Cour de cassation : Rémi Heitz, Dominique Perben, Pauline Le Monnier de Gouville, Akila Taleb-Karlsson, Frédéric Desportes, Jean Paul Jean, Stewart Field, David Pamart, Edouard Verny, Marthe Bouchet, Pascale Labrousse.
Séance du 23 juin 2005 au Sénat
Indicateur statistiques du ministère de la Justice pour l'année 2023